Entre deux séjours au potager, quand la terre se repose ou que la pluie m’invite à ralentir, je retourne parfois vers une autre matière vivante : le bois. Dans mon petit atelier, je laisse courir mes mains sur des morceaux de chêne. Je ne sculpte pas souvent, mais chaque fois que je le fais, c’est comme retrouver une conversation ancienne, un langage que je n’oublie jamais tout à fait.
C’est mon grand-père Jacques qui m’a transmis ce goût du bois, dans sa maison de Normandie qu’il aimait tant. Quand j’étais enfant, je le regardais travailler ses manches d’outils et autres objets avec une patience tranquille, en écoutant la BBC sur son vieux poste à piles. Je n’avais pas encore le droit de toucher au graal de l’atelier, ses machines et ciseaux affutés. Le parfum des copeaux, la sciure qui jonchait le sol, la régularité du geste, la simplicité de l’instant… tout cela m’est resté ainsi que le secret espoir un jour de pouvoir m’y plonger, dans ma vieille maison Bretonne. Les années ont passé et ce souvenir refait surface entre deux semis et paillage, comme une envie d’arrêter le temps. Alors je prends mes outils et je sculpte, sans chercher à produire, juste pour écouter la matière et la faire parler en une forme symbolique.
J’aime le chêne, surtout. C’est un bois solide, enraciné, un peu comme tout Breton. Il porte la mémoire du vent, de la pluie et des animaux qui l’habitent et l’encouragent à étendre ses branches à l’infini. Quand je le travaille, je sens qu’il a déjà tout vu depuis sa haute cime. Il suffit d’observer ses veinures qui retracent les hivers rigoureux des siècles passés pour comprendre qu’il connaît mieux que moi le passage des saisons. Mon rôle n’est pas de le forcer, mais de le laisser dire ce qu’il veut. Mon ciseau butte souvent sur des veines trop raides mais elles souligneront ce beau relief doux et réaliste de la marque du temps.
Mes outils sont simples : quelques gouges, une lame bien affûtée, des ciseaux électriques et un fer à pyrograver pour les travaux plus périlleux. Je ne cherche pas la perfection, seulement la justesse et l’authenticité. J’aime que la trace de la main reste visible, que le bois garde sa texture, son souffle. Cette première sculpture est modeste, inspirées par le jardin et un évènement de l’année, Beltaine.
Beltaine (ou Beltane) :
Cette année, je sculpte un talisman en chêne inspiré de la fête de Beltane. C’est une fête celtique riche des symboles du renouveau et du feu solaire. J’y voyais une façon d’unir mes deux univers : la terre et le bois, la sève et la lumière. Le disque de 5cm de diamètre que j’ai façonné en partant d’un morceau de tronc arraché par les vents violents de la tempête de l’automne 2023 est orné de rayons d’un soleil stylisé dont un des rayons démarre en son centre par une spirale. Cet objet magique porte l’histoire symbolique du bois vieux et sage qui le compose, apaisant.
Sculpter me rappelle que tout prend forme lentement : une plante, une idée, une émotion. Le bois m’apprend la patience, comme le potager me l’enseigne chaque jour la patience et la résilience et chaque année le recommencement. Les deux se répondent : dans l’un je sème, dans l’autre je révèle. Dans les deux, j’écoute la vie travailler.
Ce que je cherche, c’est ce moment suspendu où la main, le souffle sur les copeaux et la matière se rejoignent. Le silence méditatif dans lequel je me plonge devient alors presque palpable, traversé seulement par les petits craquements des ciseaux sur le bois. Ce sont des instants simples, mais essentiels, des pauses dans le tumulte de notre siècle. Des respirations.
Je crois que le bois garde tout : la pluie, la chaleur, la trace du vent… et celle de nos mains. Quand je sculpte, j’ai l’impression de converser avec la nature sous une autre forme. C’est une façon de dire merci, doucement, à ce monde vivant dont je fais partie.
Ce talisman Beltaine représente un évènement de la vie de l’un de nos fils du 1er mai de cette année. Un nouveau départ, gravé dans le bois.
